Muriel SALMONA

psychiatre, psychotraumatologue

       
       
               
                   
 

Docteur Muriel Salmona, Psychiatre-Psychothérapeute,chercheuse et Formatrice en psychotraumatologie et en victimologie, Présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, Responsable de l'Antenne 92 de l'Institut de Victimologie et de consultations pilotes gratuites et anonymes de psychotraumatologie pour victimes de violences à Clamart (92) et à Romainville (93), Responsable d'une étude sur les conséquences psychotraumatiques des violences (2008) et de recherches sur les mécanismes psychologiques et neuro-biologiques à lʼorigine des conséquences psychotraumatiques lors dʼexposition à des violences, sur la mémoire traumatique, la dissociation péri et post-traumatique et les conduites à risques dissociantes (a récemment publié : “mémoire traumatique” in L'aide-mémoire en Psychotraumatologie, Paris, Dunod, 2008 ; avec Agnès Afnaïm “mémoire traumatique” in Mémoires, n°44, décembre 2008 ; “grossesse et violences conjugales : impact sur l’enfant” L’observatoire, n°59, janvier 2009 ; "lutter contre les violences passe avant tout par la protection des victimes" publié sur le blog un monde en partage, décembre 2009, et ouvrage à paraître fin 2010 Violences impensées et impensables ou la mémoire traumatique à l'œuvre). 

Le Dr Muriel Salmona vient de mettre en ligne le site internet de l’association de recherche et de formation Mémoire Traumatique et Victimologie
memoiretraumatique.org
Le site présente de nombreux articles, des données scientifiques, des informations pratiques et des ressources utiles aux victimes de violences, et aux professionnels et aux associations les prenant en charge, et qui permet de télécharger une plaquette d'information une plaquette dʼinformation sur les conséquences des violences sur la santé : Si vous avez subi ou si vous subissez des violences, et si votre mal-être était lié à des violences subies éditée par l'association en partenariat avec la délégation régionale aux droits des femmes et à l'égalité d'Ile de France. Le site est associé à un Blog
Le blog : http://stopauxviolences.blogspot.com/
L'adresse mail : drmsalmona@gmail.com

Dans le cadre de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie le Dr Muriel Salmona a réalisé plus de 50 interventions et journées de formations en 2010 sur toute la France, et elle organise un colloque le 10 novembre 2010 à Bourg la Reine sur les violences sexuelles, corps et sexualité en otage.

Et le Dr Muriel Salmona est à l'origine d'un manifeste des professionnels de la santé engagés dans la prise en charge d'enfants victimes de violences à l'occasion du 20ème anniversaire de la signature de la Convention Internationale des droits de l' enfant le 20 novembre 2009, qui a recueilli près de 1000 signatures qui rappelle que Les violences faites aux enfants entraînent en plus des atteintes et des séquelles physiques directes liées à des violences physiques, des troubles psycho-traumatiques sévères qui peuvent se chroniciser et qui demande Une réelle application de la convention internationale des droits de l’enfant pour protéger les enfant de toute forme de violence dont les violences intra-familiales les plus fréquentes : les violences éducatives, et pour assurer des soins spécialisés de qualité et de proximité à tous les enfants victimes de violence traumatisés

 

 

 

Lutter contre les violences passe avant tout

par la protection des victimes


Bourg la Reine, le 26 décembre 2009


Les violences sont une atteinte grave aux droits humains fondamentaux des
personnes, et à leur intégrité physique et psychique
. Comme elles se produisent
essentiellement dans des milieux censés être les plus protecteurs comme la famille, le
couple, les milieux institutionnels d’éducation et de soins, le monde du travail, elles sont
cachées et maquillées en amour, désir, éducation, sécurité, rentabilité. Cet escamotage a
pour fonction de protéger le mythe d’une société idéale patriarcale où les plus forts
protégeraient les plus faibles, rationalisant ainsi les inégalités et les privilèges d’une
position dominante, ce qui qui rend les violences possibles. Les victimes qui les subissent
sont alors isolées, condamnées au silence et confrontées impuissantes à des violences
d’autant plus traumatisantes qu’elles sont impensables. Ces violences traumatisantes sont
à l’origine de blessures psychiques et de troubles psychotraumatiques fréquents et
chroniques qui auront un impact catastrophique sur leur vie s’ils ne sont pas pris en
charge. Or ces victimes traumatisées sont à l’heure actuelle abandonnées, elles ne
bénéficient ni de protection, ni de soins spécifiques, à charge pour elles de survivre dans
une grande souffrance et une insécurité totale et de se réparer comme elles peuvent. Et
ces systèmes de survie hors norme chez la plupart des victimes seront injustement
stigmatisés comme des handicaps constitutionnels et seront perçus comme une infériorité
justifiant une mise sous tutelle et de nouvelles violences, alors que ce sont des réactions
normales aux situations violentes anormales qu’elles ont subies. En revanche, un faible
nombre d’autres victimes se répareront en adhérant à la loi du plus fort et en reproduisant
des violences, ce qui alimentera la production de nouvelles violences dans un processus
sans fin. Ces conséquences psychotraumatiques s’expliquent par des mécanismes
neurobiologiques connus depuis seulement quelques années, et il est parfaitement
possible de les prévenir ou de les traiter efficacement.

La mémoire traumatique des violences est le symptôme central des troubles
psychosomatiques. Elle est produite lors de la mise en place de mécanismes psychiques
et neurobiologiques de sauvegarde exceptionnels* pour échapper au risque vital que
génère le stress extrême déclenché par des violences traumatisantes. En effet ces
violences incompréhensibles et impensables entraînent une effraction et une sidération du
psychisme qui ne peut alors contrôler l’activité de la structure sous-corticale responsable
de la réponse émotionnelle, l’amygdale cérébrale, ni la sécrétion hormonale de cortisol et
d’adrénaline qu’elle déclenche. Or la quantité croissante sécrétée de ces hormones
constitue un risque vital cardio-vasculaire et neurologique pour l'organisme. Face à ce
risque le cerveau sécrète à son tour en urgence des drogues "dures" (morphine-like et
kétamine-like) qui font littéralement "disjoncter" le circuit de l'émotion, en coupant les
connections entre l'amygdale et les autres structures et en produisant une dissociation.
La réponse émotionnelle s’éteint brutalement et les victimes dissociées décrivent alors un
sentiment d'irréalité, voire d'indifférence et d’insensibilité, comme si elles étaient devenues
de simples spectateurs de la situation du fait d'une anesthésie émotionnelle et physique
liée à la disjonction. La conséquence immédiate est que la mémoire émotionnelle de
l'événement ne pourra être encodée par l'hippocampe ni devenir un souvenir
autobiographique "racontable". Elle restera piégée dans l'amygdale, condamnée à rester
inaccessible à la conscience, mais susceptible de se rallumer lors de n'importe quelle
stimulation rappelant les violences subies, et faisant alors revivre à la victime les mêmes
souffrances physiques et psychiques. La mémoire traumatique est cette mémoire
enkystée, semblable à une machine à remonter le temps elle menace de s’enclencher à
tout moment de façon incontrôlable, en plongeant à nouveau la victime au milieu des
violences subies, et en reproduisant tout ou partie de leur vécu sensoriel et émotionnel. Et
cette mémoire traumatique qui menace sans cesse d’exploser transforme la vie des
victimes en un terrain miné, générant un climat de danger et d’insécurité permanents.
Dans un premier temps les victimes tentent d’empêcher son explosion en évitant
tous les stimulus susceptibles de la déclencher. Elles deviennent hypervigilantes, et
mettent en place des conduites de contrôle et d’évitement de tout leur environnement,
de tout ce qui peut rappeler les violences même inconsciemment comme un stress, des
émotions, des douleurs, des situations imprévues ou inconnues… mais aussi un contexte,
une odeur, une voix. Cela entraîne de nombreuses phobies, un retrait affectif, des troubles
du sommeil, une fatigue chronique, des troubles de l’attention et de la concentration très
préjudiciables pour mener à bien une vie personnelle, sociale et professionnelle.
Mais les conduites de contrôles et d’évitement sont rarement suffisantes,
particulièrement lors de grands changements (adolescence, rencontre amoureuse,
naissance d’un enfant, entrée dans la vie professionnelle, chômage, etc.) et la mémoire
traumatique explose alors fréquemment, traumatisant à nouveau les victimes en
entraînant à nouveau un risque vital, une disjonction, une anesthésie émotionnelle et une
nouvelle mémoire traumatique. Mais rapidement la disjonction spontanée ne peut plus se
faire car un phénomène d’accoutumance aux drogues dures sécrétées par le cerveau se
met en place, à quantité égale les drogues ne font plus effet, les victimes restent alors
bloquées dans une détresse et une sensation de mort imminente intolérable. Il est alors
nécessaire, pour faire cesser cet état et s’anesthésier enfin, d’obtenir coûte que coûte une
disjonction en faisant augmenter la quantité de drogues dissociantes. Cela peut s’obtenir
de deux façons : soit en leur ajoutant des drogues exogènes - alcool ou substances
psycho-actives - qui sont elles aussi dissociantes, soit en augmentant leur sécrétion
endogène par aggravation du stress. Pour aggraver leur stress, les victimes se mettent en
danger ou exercent des violences le plus souvent contre elles-mêmes, mais un certain
nombre d'entre elles préféreront exercer des violences contre autrui, générant une
mémoire traumatique chez de nouvelles victimes, et c'est un élément très important sur
lequel nous reviendrons. Ces conduites de mises en danger, ces conduites violentes et
ces conduites addictives dont les victimes découvrent tôt ou tard l’efficacité sans en
comprendre les mécanismes, je les ai nommées conduites dissociantes. Ces conduites
dissociantes provoquent la disjonction et l’anesthésie émotionnelle recherchées, mais
elles rechargent aussi la mémoire traumatique, la rendant toujours plus explosive et
rendant les conduites dissociantes toujours plus nécessaires, créant une véritable
addiction aux mises en danger et/ou à la violence.

Ces mécanismes psychotraumatiques permettent de comprendre les conduites
paradoxales des victimes et le cycle infernal des violences. Ils sont malheureusement
méconnus, et les médecins qui ne sont pas formés à la psychotraumatologie ne vont pas
relier les symptômes et les troubles des conduites que présentent les victimes aux
violences qu’elles ont subies et donc ne pas les traiter spécifiquement. A la place ils vont
utiliser des traitements symptomatiques ou des traitements qui sont en fait dissociants,
mais sans le savoir. Ces traitements (comme l’enfermement, la contention, les camisoles
chimiques, l’isolement, les chocs électriques, voire la lobotomie qui est encore utilisée
dans certains pays….) sont «efficaces» pour faire disparaître les symptômes les plus
gênants et anesthésier les douleurs et les détresses les plus graves, mais aggravent la
mémoire traumatique des patients. La violence a la triste capacité de traiter de façon
transitoire mais très efficace les conséquences psychotraumatiques, tout en les aggravant.
Elle est sa propre cause et son propre antidote. Mais à quel prix !

Si la violence est paralysante et dissociante pour la victime, elle est pour
l’auteur un outil de domination et une drogue anesthésiante. La violence est un
formidable outil pour soumettre et pour instrumentaliser des victimes dans le but
d’obtenir une anesthésie émotionnelle de l’agresseur. Elle devient ainsi une usine à
fabriquer de nouvelles victimes et de nouvelles violences.

Les rationalisations habituelles pour justifier la violence ne sont donc que des leurres :

- La violence n’est pas une fatalité, elle ne procède pas d’une pulsion agressive
originelle chez l’homme (comme le dit Freud), ni d’une cruauté innée (comme le
pense Nietzsche). L’être humain est naturellement empathique comme le prouve
toutes les études faites sur des nourrissons. Ceux qui utilisent la violence prônent le
mépris et la haine des victimes considérées comme inférieures et sans valeur, alors
qu’ils ne peuvent être violents que parce qu’ils ont été eux-mêmes des victimes. Ils
n’ont recours à la violence que parce qu’elle est utile, possible et qu’elle est une
drogue pour eux.
- La victime n’est pas responsable de la violence exercée contre elle, rien de sa
personne ni de ses actes ne la justifie, la victime est toujours innocente d’une violence
préméditée qui s’abat sur elle. De fait la victime est interchangeable, et choisie pour
jouer par contrainte ou par manipulation un rôle dans un scénario qui ne la concerne
pas, monté par l’agresseur.
- La violence n’est pas utile pour la victime, le «c’est pour ton bien» dénoncé par
Alice Miller, le «c’est par amour pour toi», le «c’est pour mieux te protéger, t’éduquer,
te soigner…» sont des mystifications. La violence n’est utile qu’à son auteur, pour le
soulager lui et lui seul, et pour paralyser et soumettre les victimes. Le but de ce
dernier est d’imposer à une personne qu’il a choisie d’être son «esclave-soignant et
son médicament» pour traiter sa mémoire traumatique. Il instrumentalise sa victime et
l’aliène en la privant de ses droits afin de la transformer en esclave soumise qui devra
développer des conduites de contrôle et d’évitement à sa place, pour éviter l’explosion
de sa mémoire traumatique à lui, et qui, si l’explosion a quand même lieu, devra servir
de fusible pour qu’il puisse disjoncter par procuration et s’anesthésier.
- La violence est un privilège, elle est l’apanage d’une société inégalitaire qui
distribue des rôles de dominants et de dominés et qui attribue ensuite à chacun une
valeur en fonction de la place qu’il occupe dans le système hiérarchique imposé. Ce
système injuste permet la mise sous tutelle d’une partie de la population au bénéfice
de privilégiés qui ont le droit d’utiliser la violence en toute injustice pour la soumettre
et l’instrumentaliser.

La fonction principale de la violence est donc mensongère, elle permet aux
agresseurs d’effacer les traces de la victime qu’ils ont été et d’échapper à une
mémoire traumatique encombrante
. Elle leur permet de se mettre du côté des
dominateurs privilégiés et de s’assurer d’une totale impunité en dissociant les victimes,
qui, anesthésiées, se tairont, ce qui aura pour effet d’effacer les traces des violences qu’ils
sèment tout au long de leur chemin. La victime qu’ils haïssent c’est eux-mêmes, ils vont la
faire disparaître par un tour de passe-passe en s’attaquant à une autre victime à qui ils
feront rejouer de force leur histoire pour mieux la nier, en déclenchant leur propre
anesthésie émotionnelle. Puisqu’ils ne ressentent plus rien, c’est bien que cette histoire
n’est pas la leur. Dans ce système la victime a une position paradoxale. Elle est d’abord
une victime de substitution, indispensable pour faire marcher la machine à effacer le
passé traumatique des agresseurs. Mais comme elle est susceptible de rappeler leur
passé traumatique à tous ceux qui sont en position dominante en allumant leur mémoire
traumatique, elle peut mettre en danger toute la construction illusionniste de la société et il
faut l’effacer à tout prix. Elle est donc à la fois indispensable et indésirable. Les victimes
sont à éradiquer, mais il faudra en créer sans cesse de nouvelles. Une fois qu’elles ont été
victimes, elles sont donc sommées de se cacher, ou de disparaître en s’auto-détruisant, à
moins qu’elles ne deviennent à leur tour des agresseurs quand la société leur en donne la
possibilité et quand elles s’y autorisent, c’est à dire quand une place de dominant leur est
réservée. C’est pourquoi elles n’ont pas le droit de revendiquer leur statut de victimes,
elles seront aussitôt soupçonnées de ne pas dire la vérité ou de chercher un avantage.
Quand les agresseurs auront besoin de victimes pour s’anesthésier, ils feront leur
casting au sein de toutes les victimes cachées ou de personnes pas encore victimes mais
vulnérables (comme les enfants) pour leur faire jouer leur scénario, aux victimes de s’y
soumettre puis à nouveau de se cacher ou de disparaître sans laisser de traces. il est
alors essentiel pour les agresseurs à la recherche de victimes potentielles de cultiver des
situations de discrimination ou d'en créer de toutes pièces, de décider que certaines
catégories d'humains sont « inférieures » et sont donc utilisables en tant que victimes
« fusibles » : les enfants, les femmes, les handicapés, les vieillards, les juifs, les arabes,
les noirs, etc… au mépris de toute cohérence et de toute justice, en toute indécence et
sans avoir à rendre de compte, puisqu'il s'agit - une fois étiquetées inférieures - de
personnes interchangeables qui « ne valent rien ou pas grand-chose », si ce n'est par leur
vertu « curative » plus ou moins importante.
Et des pans entiers de fonctionnements humains fondamentaux sont ainsi
instrumentalisés pour en faire des « outils de violences », comme l'éducation des enfants,
l'amour parental, la relation conjugale, la sexualité, la religion, le travail, la politique, le
soin. Certains de ces pans deviennent presque entièrement dévoyés par les conduites
dissociantes violentes, à tel point et depuis si longtemps que tout le monde finit par
considérer que cette violence qui les sature est « naturelle », et inhérente à ces
fonctionnements humains, avec une tolérance inouïe pour des violences qui bien qu’elles
bafouent les droits humains, peuvent s’imposer comme incontournables ; c’est le cas des
violences éducatives intra-familiales, et des violences sexuelles, particulièrement la
prostitution et la pornographie.

Les violences imprègnent de telle façon et depuis si longtemps les rapports
humains qu’elles en ont modifié les normes et les représentations que l’on peut
s’en faire
. Les violences saturent et dénaturent la relation amoureuse, la parentalité, la
sexualité, le travail, les soins, etc. Dans notre société, les symptômes psychotraumatiques
et les troubles des conduites qui y sont rattachés ne sont jamais reconnus comme des
conséquences normales des violences, et sont perçus de façon mystificatrice et
particulièrement injuste comme provenant des victimes elles-mêmes, liés à leur
personnalité, à de prétendus défauts et incapacités, à leur sexe, à leur âge, voire à des
troubles mentaux abusivement diagnostiqués comme psychotiques.
Les violences et leurs conséquences psychotraumatiques sont à l’origine de
nombreux stéréotypes censés caractériser les victimes qui les subissent le plus
fréquemment, comme les femmes et les enfants. Leurs symptômes, au lieu d’être
identifiés comme réactionnels, sont injustement considérés comme naturels et constitutifs
de leur caractère, de leurs conduites et de leur sexualité : les femmes seraient plus
passives, plus émotives, plus sensibles, plus fragiles et dépressives que les hommes,
avec une sexualité bien moins pulsionnelle qu’eux, les adolescents seraient plus enclins
aux conduites à risque et aux mises en danger, plus suicidaires, etc… Bien sûr, il existe de
nombreux stéréotypes «en miroir» sur les hommes qui seraient « naturellement »
prédateurs, dominateurs et peu émotifs.
Ces stéréotypes, parasités par la violence omniprésente, altèrent profondément les
relations humaine et transforment l’amour en une relation de possession et d’emprise,
l’éducation en un dressage et une domination, la sexualité en un besoin d’instrumentaliser
et de consommer.
Et dans un monde où de façon illégitime et absurde, la moitié de la population, pour
être née de sexe féminin, subit une domination de fait, les discours inégalitaires pourront
continuer à mystifier une grande partie des individus et à imposer des mensonges
idéologiques qui sont des facilitateurs de violences, des « permis de détruire » offerts à
des personnes peu regardantes sur leur éthique et leur cohérence intellectuelle pour
« traiter » leur mémoire traumatique aux dépens d'autrui.

La mémoire traumatique quand elle n’est pas traitée est donc le dénominateur
commun de toutes les violences, de leurs conséquences comme de leurs causes.

Et il résulte clairement de ce qui précède que pour interrompre la production
sans fin de violence il faut éviter que des victimes soient traumatisées et
développent une mémoire traumatique
. Cela passe par une protection sans faille de
tout être humain pour qu’il ne subisse pas de violences, et plus particulièrement des
enfants et des femmes qui en sont les victimes les plus fréquentes. Il faut donc protéger
les victimes potentielles vivant dans les univers malheureusement connus comme les plus
dangereux, comme le couple, la famille, les institutions, le travail, et il faut promouvoir une
égalité effective des droits, une information sur les conséquences de la violence et une
éducation à la non-violence. Il faut aussi bien sûr protéger les victimes traumatisées et ne
plus les abandonner à leur sort. Aucune victime ne doit être laissée sans prise en charge
et sans soin.
Rendre justice à toute victime est impératif absolu, et les auteurs de violences
doivent rendre des comptes et être sanctionnés. Mais cela ne suffit pas, il faut que les
auteurs de violences soient pris en charge et traités dès les premières violences, dans le
cadre d’une éducation à la non-violence et de soins spécialisés pour traiter leur mémoire
traumatique et leur addiction à la violence.
Le traitement de la mémoire traumatique consiste à faire comprendre les
mécanismes psychotraumatiques, dans le but de se comprendre, de se déculpabiliser et
d’éviter les conduites dissociantes et de faire en sorte que les patients ne se laissent plus
pétrifier par le non-sens apparent des violences. Le traitement consiste en même temps à
faire identifier au patient sa mémoire traumatique qui prend la forme de véritables mines
qu'il s'agit de localiser, puis de désamorcer et de déminer patiemment, en rétablissant des
connexions neurologiques, en lui faisant faire des liens et en réintroduisant des
représentations mentales pour chaque manifestation de la mémoire traumatique. Il s'agit
de "réparer" l'effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à
l'irreprésentabilité des violences
. C’est au fur et à mesure de la psychothérapie que le
vécu peu devenir petit à petit mieux représentable et intégrable, mieux compréhensible, le
thérapeute aidant à mettre des mots sur chaque situation, chaque comportement, chaque
émotion, et à analyser avec justesse le contexte, les réactions de la victime, le
comportement de l'agresseur. Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à
l'hippocampe de reprendre le contrôle des réactions de l'amygdale cérébrale et d'encoder
la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique
consciente et contrôlable.
Le but, c'est de ne jamais renoncer à tout comprendre, ni à redonner du sens,
tout symptôme, toute pensée, réaction, sensation incongrue, tout cauchemar, tout
comportement qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est
fondamentalement doit être disséqué pour le relier à son origine, pour l'éclairer par
des liens qui permettent de le rapporter aux violences subies.

De plus ce travail de compréhension permet au patient d’éviter d’être traumatisé par
de nouvelles violences. Une fois que les violences prennent sens par rapport au passé
traumatisant de l’agresseur, que les victimes se rendent comte que les violences ne les
concernent absolument pas, qu’elles se jouent sur une autre scène, celle de la mémoire
traumatique de l’agresseur et de son passé, le scénario mis en scène par l’agresseur ne
fonctionne plus, il devient possible aux victimes de ne plus y participer. À partir du moment
où les victimes comprennent ce qui se passe, elles peuvent identifier la scène et le rôle
dans lequel l’agresseur tente de les piéger et s’en libérer, elles ne sont plus la proie
pétrifiée dont l’agresseur a besoin pour sa mise en scène. Le «jeu» ne fonctionne plus, la
victime peut se mettre «hors-jeu» et laisser l’agresseur face à une scène où il ne peut plus
jouer le rôle de bourreau, faute de victime pétrifiée. Son histoire qu’il imposait à la victime
lui est renvoyée en pleine figure, en miroir. Il est alors ramené à son propre rôle originel,
un rôle de victime qu’il ne veut surtout pas jouer. Le «jeu» n’a donc plus de sens, plus
d’intérêt et il n’est plus dissociant, l’agresseur devra se dissocier autrement ou se calmer.
Face à lui, la victime est devenue comme Persée face à Méduse, sa compréhension est le
bouclier miroir offert par Athéna (déesse de la sagesse et de la raison), elle lui évite d’être
pétrifiée par le regard de Méduse.

On a tout à gagner de faire le pari de protéger toutes les victimes et ce, dès les
premières violences
: gagner de faire cesser immédiatement les violences et de mettre
en sécurité les victimes, gagner de faire respecter les droits des victimes, en leur
permettant d’obtenir justice et réparation pour les violences qu’elles ont subies, gagner de
leur garantir leur non-répétition, gagner de mettre un terme à l’impunité des auteurs tout
en leur proposant des soins précoces pour les sortir de leur addiction à la violence, gagner
d’éviter l’installation de troubles psychotraumatiques chroniques chez les victimes grâce à
des soins spécialisés précoces. En évitant la mise en place de conduites dissociantes, et
particulièrement les violences exercées contre autrui, on peut s’opposer à la
contamination progressive des individus par la violence, et gagner enfin de rendre la
société moins inégalitaire.

Pour lutter contre les violences il faut donc une volonté politique forte pour
protéger toutes les victimes, pour faire respecter les droits de toute personne à
vivre en sécurité, pour rendre une justice efficace, pour former à la
psychotraumatologie les professionnels prenant en charge les victimes, et plus
particulièrement les médecins et autres professionnels de santé, pour créer des
centres de soins spécialisés, pour informer le grand public sur les conséquences
des violences et les mécanismes psychotraumatologiques, et l’éduquer aux respect
des droits de l’humain et à la non-violence.


* Travaux du Dr Muriel Salmona : La mémoire traumatique in L'aide-mémoire en
Psychotraumatologie
, Paris, Dunod, 2008 et ouvrage à paraître en 2010 : Violences
impensées et impensables
ou la mémoire traumatique à l'oeuvre.

 

Texte du Dr Muriel Salmona psychiatre-psychotraumatologue, responsable de l'Antenne 92 de l'Institut de victimologie, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie :

wwwmemoiretraumatique.org

drmsalmona@gmail.com

 

     
         

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