Isabelle FILLIOZAT

psychologue, psychothérapeute

       
           
             

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 

 

 

 

Table Ronde
Perturbation de la capacité d’attachement et approche psychothérapeutique

« Un bébé seul, ça n’existe pas ! »


« Le bébé est un être de relation et il a besoin d’être attaché à quelqu’un pour construire sa base de sécurité, socle sur lequel il construira son autonomie ». La théorie de l’attachement énoncée par Bowlby contredit la théorie des pulsions. Peut être parce qu’il est pédiatre aussi, Bowlby invoque la nécessité de la prise en compte de la réalité vécue du bébé et travaille sur la dyade mère-enfant.

En 1992, l’OMS et l’UNICEF lancent « les hôpitaux amis des bébés ». L’objectif est de promouvoir des pratiques respectant les besoins du nouveau-né, notamment la proximité mère-enfant 24h sur 24 et le soutien de l’allaitement maternel. Dans le monde, près de 20000 hôpitaux amis des bébés ; en France, 11 maternités seulement ont obtenu le label et aucun CHU. En 1995, le secrétaire d’Etat à la Santé désengage l’Etat… Favoriser l’attachement, c’est un projet qui ne s’inscrit pas dans le credo français.

L’OMS recommande 6 mois d’allaitement exclusivement au sein et 24 mois en allaitement mixte. Aux yeux des français, c’est bon pour les pays en voie de développement… La littérature psychanalytique dénonce : « L’injonction de l’OMS à poursuivre l’allaitement « très longtemps » peut être avancé par la mère pour rationaliser de manière secondaire son désir inconscient de maintenir le corps à corps et se mettre à l’abri d’une angoisse de séparation non métabolisable ». Les mots « très longtemps » sont déjà une induction. Françoise Dolto a introduit le concept de castration orale symboligène, posant l'interdit du cannibalisme : « C'est le moment du sevrage de l'enfant. La castration orale introduit à une médiation d'avec la mère rendant ainsi possible une relation avec un autre et permet l'accès à un langage compréhensible de tous. » Bref, toute maman qui allaite au delà de trois mois est névrosée et son enfant privé de parole. Les scandinaves seront heureux de découvrir qu’ils sont à 68% gravement névrosés, puisque 68% des bébés sont allaités à 6 mois et 42% le sont encore à 9 mois. Seuls les français, champions du monde de la consommation de psychotropes, anxiolytiques et autres anti-dépresseurs, n’ont pas de problème avec la séparation… 70% de leurs petits étant déjà sevrés à 3 mois.

Les parents français crient beaucoup, ils giflent, fessent et punissent. Or, les coups, les cris, les punitions, tout ce qui fait peur et honte à l’enfant, abîment l’attachement. Dans les media de nos jours, les psys insistent davantage sur la nécessité de la pose de limites que sur celle des câlins, du contact physique, des regards et des mots d’amour qui nourrissent les besoins profonds d’attachement et pourraient éviter que les enfants ne développent des comportements excessifs, souvent symptômes de carences relationnelles. Là encore, je note l’influence de la théorie des pulsions. J’exagère le trait, mais à peine, les enfants sont pervers polymorphes, il faut mettre un terme à leurs fantasmes de toute puissance. Encore aujourd’hui, alors que notre métier est d’aider à saisir le sens des symptômes, les comportements des enfants sont souvent surinterprétés comme dirigés contre le parent « il vous teste ». Si nous prenons pour prisme l’attachement, nous nous poserons des questions différentes en termes de besoins : La relation avec le parent peut-elle être intériorisée comme une base sécure ? Comment le parent réagit-il quand l’enfant exprime un désir de proximité ou quand l’enfant est aux prises avec une émotion forte, notamment la colère ou la rage ?

“Il a été délicieux, un vrai petit ange !” dit la nounou. La maman récupère son petitou en souriant… et déchante rapidement. Il semble que le petit ange se mue en démon dès qu’elle le retrouve. Grincheux, hargneux, exigeant, elle n’y arrive pas. “Tu ne sais pas le tenir, en rajoute le papa. Avec moi il ne fait jamais ça »… La maman va consulter et s’entend dire qu’elle a un problème de fusion avec son enfant. Elle doit apprendre à mettre des limites. Pourtant, elle tente depuis longtemps de les mettre les fameuses limites, il lui arrive de crier, de s’énerver, mais c’est vrai, elle n’est peut être pas assez sévère… Elle croit les experts, elle croit son mari. Comment pourrait-elle faire autrement puisque les faits sont là. Avec les autres son fils se comporte parfaitement. Avec elle, il est infernal.

Sous l’angle de l’attachement, la situation est bien différente. Pour être un petit ange chez la nounou, l’enfant a pris sur lui, il a accumulé les tensions toute la journée. Son cerveau est saturé, mais il tient le coup. Il ne montrera tout cela qu’à sa figure première d’attachement, maman. Seule maman offre suffisamment de sécurité pour oser lui confier toutes ces émotions. En se montrant grincheux, l’enfant dit maladroitement à sa mère « ma journée a été difficile ». Enseigner aux parents l’écoute et l’accompagnement des décharges de tension, sera plus aidant que la pose de limites, et si le psy permet au papa d’oser davantage l’intimité plutôt que de jouer le tiers séparateur, tout le monde y gagnera.

La théorie de l’attachement offre une grille de lecture bien différente de celle de la théorie des pulsions.

L’attachement est au cœur de notre travail de psychothérapeute. Au delà de la guérison des symptômes, nous visons la restauration de la capacité d’aimer, de la capacité à vivre l’intimité. Une grande part du travail de psychothérapie se déroule dans le travail sur le transfert et le contre-transfert. Or, qu’est-ce que le transfert si ce n’est la projection sur le psy de ses figures d’attachement ?

Parallèlement au travail sur son histoire et sur son style d’attachement, nous sommes vigilants à proposer au client une figure d’attachement saine. Dans ce but, nous nous montrons disponibles, à l’écoute, réactifs à ses sentiments, attentifs à ses besoins, respectueux de son expression. Nous allons même l’encourager à exprimer de la colère à notre égard, et lui permettre de vérifier que l’expression des émotions ne modifie pas le lien.

Bien sûr, les besoins d’attachement du praticien doivent être nourris par ailleurs, pour ne pas être en position d’extorquer au client des marques d’amour et de confirmation.

Lorsque le thérapeute est trop distant, ne permet pas l’accordage, les besoins d’attachement du client, insatisfaits, peuvent le rendre dépendant du psy.

L’expérience confirme la théorie, quand les besoins d’attachement sont nourris, la personne construit une base de sécurité intérieure sur laquelle elle fonde son autonomie. Elle se détache naturellement parce qu’elle est suffisamment nourrie et peut passer à l’étape suivante.

 

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