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Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, chercheur associé à l'Université Paris VII Denis Diderot (CRPMS).

Il s’est fait connaître en publiant sa thèse de médecine sous la forme d’une bande dessinée (1975), puis en découvrant le secret familial de Hergé uniquement à partir de la lecture des albums de Tintin (1983) quatre ans avant que la réalité de ce secret ne soit confirmée.

Ses recherches portent sur trois domaines :
- les secrets de famille liés aux traumatismes et leurs répercussions sur plusieurs générations
- les relations que nous établissons avec les diverses formes d’images
- et la façon dont les nouvelles technologies bouleversent notre rapport aux autres, à nous même, au temps, à l’espace et à la connaissance.

Il a publié une trentaine d'essais personnels. Ses livres sont traduits dans quatorze langues.

Il est fréquemment sollicité comme expert par les différents ministères.

Blog: www.sergetisseron.com


Bibliographie :

La Résilience, PUF Que sais-je ? 2007

Virtuel, mon amour ; penser, aimer, souffrir à l’ère des nouvelles technologies, 2008, Albin Michel

L’empathie, au cœur du jeu social, Albin Michel, 2010

3-6-9-12, Apprivoiser les écrans et grandir, Toulouse, éres.

Le jour où mon robot m’aimera, vers l’empathie artificielle, Albin Michel, 2015.

 

 

 

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Serge Tisseron

psychiatre, psychanalyste, docteur en psychologie

 

serge tisseron

La complexité et le caractère imprévisible d’internet en fait l’espace de tous les dangers. En témoigne le rôle qui lui a été donné dans la pédophilie, alors qu’on sait que la plupart de ces drames se passent en famille, et plus récemment l’inquiétude qu’il soit devenu une immense machine à fabriquer de l’extrémisme djihadiste. Cette crainte s’est résumée dans une formule : la « djihadosphère ». Jusqu’à ce qu’une analyse plus fine n’amène à en relativiser l’importance. La traditionnelle crise d’adolescence, aggravée aujourd’hui plus qu’hier par des fragilités familiales, sociales et psychologiques y joue un rôle de premier plan. Et pas seulement elle. Car ces deux ingrédients ne seraient rien sans un troisième : l’existence d’un habile recruteur installé à la porte du collège comme jadis les pédophiles, capable de repérer les sujets les plus en souffrance et les plus vulnérables, et de leur proposer un projet de vie alternatif marqué du sceau de l’idéalisation et du sacrifice qui ont toujours fasciné les adolescents. Par où il était démontré une fois de plus que les mondes numériques ne remplacent pas le monde physique, mais s’y ajoutent. Autrement dit, les séductions numériques ne trouvent leur pleine efficacité que si elles sont relayées par une relation concrète de proximité.

Mais si Internet n’est pas le responsable majeur de la radicalisation d’une partie de la jeunesse, il serait faux pour autant d’oublier qu’il pousse souvent à des positions extrêmes. D’un côté, il favorise de nouvelles modalités de participation et d’engagement dans la vie démocratique. Mais d’un autre, il suscite des affrontements violents exactement opposés à la logique du débat démocratique.

D’abord, l'anonymat y est facile. Sur Wikipédia, par exemple, des comptes personnels se règlent sous couvert d'un pseudonyme. Et encore Wikipédia est-il régulé par l’ensemble des internautes, ce qui n’est pas le cas de la majorité des informations qui circulent sur le net ! Pourtant, l’anonymat n’explique pas tout. Un autre élément est l'absence sur Internet d’indices sociaux régulateurs. Cela peut nous amener à minimiser l’importance de notre interlocuteur et à lui répondre sans vraiment examiner ses arguments, alors qu’il peut être quelqu’un d’extrêmement savant, à qui nous ne parlerions pas de la même manière dans d’autres lieux. Et même lorsque nous connaissons notre interlocuteur, l’absence de face-à-face supprime le recours aux mimiques comme facteur de régulation. En plus, les groupes de discussion sont ouverts, et de nombreuses personnes peuvent faire intrusion à tout moment et brutalement dans leur dynamique, ce qui rend difficile une régulation. Enfin, Internet semble favoriser la levée des inhibitions, notamment à cause de l’absence de formules d’ouverture et de clôture des échanges, et par le fait que chacun peut parler en même temps, ce qui rend compliquée l’écoute de chacun par chacun. Pour toutes ces raisons, la pratique d'Internet suscite quatre formes d’angoisse : d’abandon, d'envahissement, de morcellement et de persécution.

Si Internet est capable de susciter de telles angoisses chez ses usagers, il est inévitable qu’on en trouve un écho dans la nature des relations qui y sont mises en scène. Et en effet, les affrontements verbaux y prennent souvent une tournure paroxystique. On les appelle des flame wars, du verbe anglais to flame qui signifie injurier, insulter. Ils évoquent le phénomène d’attaque-fuite décrit par le psychanalyste Wilfried Bion dans son analyse de la dynamique des petits groupes. Celui-ci a en effet observé que, dans une situation qui insécurise gravement ses participants, ceux-ci prennent soit la décision de fuir, soit celle d’attaquer. La fuite y est évidemment facile puisqu’il suffit de se déconnecter du forum ou de la discussion. Quant à l’attaque, elle est extrêmement aisée, surtout avec l’utilisation d’un pseudonyme : les attaques ad hominem fleurissent, et le contenu du débat perd finalement toute importance, le plus important devenant le caractère flamboyant des insultes et la richesse des métaphores utilisées. Il faut abattre l'adversaire par tous les moyens.

Internet est ainsi à la fois porteur d’attitudes d’intolérance et de nouvelles modalités d’entrée dans le débat public. Est-il alors possible de définir des circonstances qui expliqueraient les mésusages de cet outil. Quels facteurs peuvent inciter un adolescent à s’engager d’un côté ou d’un autre, c'est-à-dire à participer de façon accrue au débat démocratique ou au contraire à fuir la pensée et à se retrancher sur des positions rigides ? Nous en voyons deux. La première résulte de l’introduction trop précoce et trop massive des écrans, à un moment où l’enfant n’a pas encore construit ses repères corporels et temporels. La seconde concerne des traumatismes jugés insurmontables vis-à-vis desquels le sujet se met en état de fuite psychique.

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