Pédiatre, Pédopsychiatre et Psychanalyste (Membre de l’Association Psychanalytique de France), Bernard GOLSE est chef de service de Pédopsychiatrie de l'Hôpital Necker-Enfants Malades à Paris et Professeur de Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'Université René Descartes (Paris V).
Spécialiste du développement précoce et des niveaux archaïques du fonctionnement psychique, il s'intéresse tout particulièrement à la mise en place de la psyché chez l'enfant et à l'instauration des processus de sémiotisation et de symbolisation.
Les relations entre la musique et les racines du langage lui importent au plus haut point.
Membre du Conseil Supérieur de l'Adoption, il a été, de 2005 à 2008, Président du Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP).
Il a été membre de l'exécutif de la IACAPAP (Association Internationale de Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et des Professions Affiliées) de 1998 à 2004, et il est membre fondateur de l'AEPEA (Association Européenne de Psychopathologie de l'Enfant et de l'Adolescent). Il préside l’Association Pikler Loczy-France depuis 2007 et l’Association pour la Formation à la Psychothérapie Psychanalytique de l’Enfant et de l’Adolescent (AFPPEA) depuis 2009.
Résumé
En dépit de tout ce qu’on peut lire, dire et entendre aujourd’hui, il nous semble que l’approche psychothérapique des enfants autistes demeure une nécessité absolue.
Quelle que soit la méthode employée, toute psychothérapie d’un enfant autiste vise à lui faire ressentir, comme le disait F. TUSTIN, qu’un autre existe et qui n’est pas menaçant, ce qui rejoint au fond, par la voie des affects et des émotions, la question de l’accès à l’intersubjectivité dont l’échec forme le vif de la pathologie autistique.
Faire sentir à l’enfant qu’un autre existe et qui n’est pas menaçant...
Il n’y a pas que la cure psychanalytique qui puisse se donner cet objectif psychothérapeutique.
On citera par exemple les « Thérapies d’Echange et de Développement » développées en France par l’école de Tours, mais aussi la méthode « Floortime » très utilisée aux USA et qui donne une place centrale au jeu et au partage émotionnel.
Mais compte tenu du contexte polémique actuel, quelques mots nous semblent utiles à propos des psychothérapies psychanalytiques des enfants autistes, si décriées.
Etre autiste donne lieu, à certains moments, à des souffrances affectives extrêmes, et sortir de l’autisme n’est pas non plus une partie de plaisir, car l’enfant autiste va alors découvrir le monde et les objets qui le composent (objets animés et objets inanimés), lesquels peuvent être ressentis par lui comme des objets terrifiants.
Dans ces conditions, que peut apporter la cure psychanalytique ?
Contrairement à ce que l’on a coutume de penser, la psychanalyse apparaît davantage comme une science narrative que comme une science explicative ou causale, la question de la faute maternelle se trouvant ainsi par définition hors sujet, si l’on peut s’exprimer de la sorte.
* Avec un enfant autiste, la question n’est pas tant de trouver et de désigner le coupable de ses difficultés (lequel n’existe d’ailleurs pas en tant que tel), mais de l’aider à être en lien avec son monde interne, de l’aider à lui donner forme et sens, de l’aider à dépasser les entraves émotionnelles qui sont les siennes.
Le psychanalyste, au sein d’un cadre rigoureux et stable, passera ainsi par exemple de longues périodes à mettre des mots sur les affects de l’enfant (verbalisation des affects) comme l’a si bien montré un auteur comme A. ALVAREZ.
* Il a aussi à « interpréter » ses angoisses archaïques, c’est-à-dire à proposer un sens aux figurations corporelles ou comportementales que l’enfant en propose au sein de ses séances.
Donnons-en des exemples.
Tel enfant autiste utilise de longs moments de ses séances à faire tomber un objet de la table, tout en observant, comme à la dérobée, le regard du thérapeute.
Il ne s’agit pas tant pour lui, comme pour un enfant habituel, de forcer le thérapeute à le ramasser dans une dynamique de pouvoir sur autrui.
Tout se passe comme si l’enfant attendait du thérapeute une parole donneuse de sens, et quand le thérapeute lui dit, par exemple, qu’à travers ce jeu il cherche à lui montrer que lui-même se sent parfois tomber au sein d’un gouffre (angoisses de précipitation), alors le jeu s’arrête instantanément.
Tel autre enfant, passe son temps de séance à tourner sur lui-même, et quand le thérapeute propose l’idée qu’il cherche à lui montrer que le monde est ressenti par lui comme un tourbillon (« angoisses tourbillonnaires » si bien décrites par D. HOUZEL), là aussi le comportement s’interrompt rapidement.
* Il y a bien d’autres exemples d’angoisses archaïques qui pourraient être donnés (angoisses de vidage, de vidange, de liquéfaction...), mais dans tous les cas, il faut admettre d’une part que l’enfant, aussi autiste soit-il, a une sorte d’intention inconsciente de communiquer à l’autre quelque chose de son vécu intime, de ses éprouvés et des ses ressentis affectifs, et d’autre part, que le psychanalyste d’enfants, par son empathie, par son expérience du transfert et du contre-transfert, est particulièrement bien placé pour décoder les messages que l’enfant lui adresse à son propre insu.
* La verbalisation des affects de l’enfant autiste et l’interprétation de ses angoisses archaïques offrent déjà deux moyens importants de faire sentir à l’enfant qu’un autre existe et qui peut le comprendre, ce qui aide l’enfant dans l’instauration de son intersubjectivité, mais ce n’est pas tout.
Le psychanalyste peut aussi aider l’enfant à édifier ce que G. HAAG appelle son « Moi corporel », c’est-à-dire à lui permettre de se vivre comme un tout unifié, différencié et progressivement plus sécure.
G. HAAG et coll. ont proposé une grille d’observation permettant de suivre les processus de dégagement de l’enfant autiste de sa bulle autistique, et cet outil repose sur une modélisation de ce que l’on sait aujourd’hui en matière d’édification du Moi corporel sans lequel l’enfant ne peut se vivre comme un sujet, et ne peut s’engager dans la relation à autrui.
Il importe notamment de l’aider à vivre sa peau comme une enveloppe corporelle suffisamment contenante et suffisamment limitante (ce que G. HAAG
évoque en disant qu’il s’agit d’aider l’enfant à se procurer un « sentiment d’entourance » autre que celui offert par la carapace autistique), enveloppe cutanée qui renvoie au concept de « Moi-peau » de D. ANZIEU).
Mais il importe aussi de l’aider à se différencier intra-corporellement, à vivre son corps comme suffisamment étanche (sphinctérisation de l’image du corps), et finalement à accepter de substituer des flux relationnels à ses flux sensoriels emprisonnants (D. HOUZEL).
Tout ceci n’est possible que grâce à la formation du psychanalyste qui lui permet de s’identifier profondément aux vécus corporels et affectifs de l’enfant autiste pour l’aider à se construire et s’individualiser progressivement.
Redisons donc, encore une fois, l’importance de ces approches psychothérapeutiques des enfants autistes qui, sans perspective causale aucune, viennent compléter efficacement la palette des autres mesures d’aide incluses dans le projet multidimensionnel que nous considérons comme indispensable.