Le Médecin Général (CR) Louis CROCQ, psychiatre des armées et professeur associé honoraire à l’Université René Descartes à Paris, a créé en 1995 le réseau national des cellules d’urgence médico-psychologique (intervention pour soins psychiques auprès des victimes d’attentats et de catastrophes), sur ordre du Président Chirac au lendemain de l’attentat terroriste à la station du RER Saint-Michel. Il coordonne deux diplômes d’université, sur le « stress » et le « traumatisme psychique ». Il est consultant « stress » à l’ONU.

Ses nombreux travaux (250 publications) portent sur les névroses de guerre observées chez les combattants et dans la population civile, les comportements individuels et collectifs dans les catastrophes, et le stress. Il a publié quatre ouvrages :
- Les traumatismes psychiques de guerre (Odile Jacob, Paris, 1999)
- Traumatismes psychiques : prise en charge psychologique des victimes (Masson, Paris, 2007)
- Gérer les grandes crises (en collaboration avec Sophie Huberson et Benoît Vraie), Odile Jacob, Paris, 2009.
- Les paniques collectives (Odile Jacob, Paris, 2013)

 

16 leçons sur le trauma. La création des CUMP.

L’enseignement du diplôme d’université « Le traumatisme psychique » à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris-6) est organisé autour de seize leçons, qui inventorient d’abord la clinique des trois phases (immédiate, post-immédiate et différée-chronique), ses particularités chez l’enfant, le sauveteur et les victimes de viol, et les interventions à effectuer dans chacune d’elles (defusing, debriefing et thérapie au long cours) ; puis proposent une réflexion sur les questions « syndrome de répétition », « trauma et mémoire » et « trauma et sommeil » et explicitent les concepts-clés de stress et de trauma, de résilience et de catharsis, avant de récapituler l’histoire du trauma au travers des siècles et sa prégnance dans nos mythes fondateurs.

Sur le plan pratique, la prise en charge du trauma, longtemps cantonnée au sein du cénacle restreint des psychiatres militaires, s’est étendue à la pratique civile grâce à l’avènement en 1980 du diagnostic d’« état de stress post-traumatique », proposé par la nosographie américaine DSM, riche des enseignements de la guerre du Viet-Nam (1964-1973), en remplacement de l’ancienne dénomination « névrose traumatique ». En France, il a fallu attendre l’attentat du 25 juillet 1995 à la station RER Saint-Michel à Paris, pour que les pouvoirs publics – au plus haut niveau de la Présidence de la République – découvrent que le devoir des soignants est de soulager la souffrance psychique au même titre que la souffrance physique, et ordonnent la création du réseau national des cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP), couvrant les cent départements du territoire français et ayant pour mission d’assurer les soins immédiats et post-immédiats auprès des victimes d’attentats et de catastrophe. Régenté initialement par un arrêté et des circulaires (1997 et 2003), le dispositif vient de faire l’objet d’un décret (7 janvier 2013) de restructuration et d’intégration au sein de l’organisation des urgences sanitaires.

Concernant la question fondamentale « trauma et sens », le trauma étant défini comme un phénomène psychologique d’effraction des défenses psychiques de l’individu (dont la défense qui consiste à anticiper, la défense qui consiste à repousser les excitations, et la défense qui consiste à les intégrer en les atténuant par attribution de sens), la souvenance traumatique va demeurer au sein du psychisme comme un corps étranger, provoquant de vains efforts d’expulsion ou d’assimilation. Derrière l’aspect économique (rapport de forces) se profile l’aspect absence de sens ou confrontation inopinée avec le réel brut de la mort et du néant, sans avoir le temps ni la possibilité de le travestir avec les signifiants procurés par les mots et la culture.

D’où l’opportunité pour le clinicien à explorer l’instant traumatique tel que vécu par son patient, dans le temps bref d’un clin d’œil (in icto oculi) : surprise, effroi, horreur, impression d’absence de secours, arrêt de la pensée, incompréhension, désorientation, atmosphère d’irréalité ou de rêve, dépersonnalisation ; toutes caractéristiques regroupées par certains cliniciens nord-américains (Marmar, 1997 ; Brunet, 2003) sous le vocable « dissociation péri-traumatique », tandis que nous préconisons celui de « dissociation per-traumatique » puisqu’on est en plein dans le trauma, et non pas autour.

Après Janet (1889), qui a prôné le mot, et Freud (1895, 1920), ce sont Ferenczi (1932) et Kardiner (1941) qui se sont le plus préoccupés de ce phénomène de dissociation. Plus récemment, Barrois (1988), établissant un pont entre psychanalyse et phénoménologie, identifie six vérités au trauma : épiphanie par apparition, apocalypse par révélation, prophétie par proclamation, rupture des liens avec le monde, irruption de l’angoisse de néantisation et présentation inaugurale de la mort. Nous même (1999) y distinguons trois axes : l’aliénation de la personnalité, la suspension de la temporalité, figée sur l’instant traumatique, et l’expérience de non-sens (irruption du néant insensé).

Concernant la pathogénie du trauma, se posent parfois les questions de la personnalité antérieure et de l’« après-coup » d’un événement ancien potentiellement traumatisant. Il arrive en effet que l’on découvre dans le passé d’un patient traumatisé un autre événement à priori traumatogène (le cas Katharina, Freud, 1895). On peut alors se poser la question : ce premier événement est-il déterminant, ayant gardé intact son potentiel traumatogène, mais sans extériorisation clinique (névrose latente, en sommeil), n’attendant qu’une pichenette pour se révéler au grand jour, « après-coup » ? Mais, pour Freud (1896), l’après-coup n’est pas ce conte de La Belle-au-Bois Dormant ; il est remaniement, réinscription de traces mnésiques d’un psychisme qui se constitue par stratifications. Au moment où un événement se termine, sa vérité n’est que sursitaire ; et c’est l’histoire ultérieure, le réveillant par apparentement et confirmant sa vérité ou le dotant d’une vérité nouvelle, ou à l’inverse le reléguant dans l’ombre comme non-sens dérisoire, qui décidera de sa vie à venir. Aussi, quand un patient traumatisé nous retrace son passé, en fonction de son état traumatique actuel, devons-nous récuser l’« illusion rétrospective du vrai » (Bergson : le vrai d’aujourd’hui nous semble avoir été toujours vrai »).

Sur le plan thérapeutique, l’approche cathartique demeure à notre avis la voie royale pour permettre au patient d’accéder à la vérité sensée de son aventure traumatique (dans une énonciation naïve plutôt que dans un récit construit) et de l’insérer dans la continuité fluide de son existence.

 

Louis Crocq

 

Psychiatre, fondateur des CUMP

 

 

 

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