Georges-Elia Sarfati  (eliasarfati@hotmail.com) : Professeur des universités (sciences du langage). Logothérapeute certifié, membre de l'Institut Viktor Frankl de Vienne, Directeur pédagogique de l'Université Sigmund Freud-Paris. Membre du Collectif Shibboleth/Actualité de Freud- Chargé de cours à la Faculté de médecine de Paris (René Descartes Paris V, Laboratoire d'éthique médicale), DU Psychotraumatologie. Président de l'Association Française d'Analyse Existentielle et de Logothérapie Viktor Frankl. A notamment publié, en traduction française : V. Frankl, Nos raisons de vivre. A l'école du sens de la vie, Paris, InterEditions, 2009 ; V. Frankl, Le Dieu inconscient. Psychothérapie et religion, Paris, InterEditions, 2012 ; ainsi que : « Viktor Frankl : analyse existentielle et logothérapie », in Mémoire de psychotraumatologie, dir. M. Kédia- A. Sabouraud-Seguin, Paris, Dunod, 2è éd., 2013.

Trauma et reconstruction du sens : la perspective de l'analyse existentielle.

La survenue du trauma marque une coupure existentielle, que la souffrance des sujets somatise en terme de démarcation concrète entre un ''avant'' et un ''après''. Selon Janoff-Bulman, le vécu traumatique coïncide avec la perte des ''croyances fondamentales'' qui définissent, du point de vue phénoménologique, le rapport au monde. Dès lors, la clinique du psychotrauma, toutes méthodes thérapeutiques confondues, se donne pour objet, d'une part la diminution des symptômes de l'ESPT, d'autre part la réélaboration de l'ancrage subjectif dans des conditions de stabilité optimales.
L'un des principaux enjeux du rétablissement consiste à réinscrire le choc traumatique dans le cours d'une vie, susceptible de se réapproprier -notamment à travers le récit de vie- une représentation cohésive et cohérente d'une identité personnelle de nouveau unifiée. C'est notamment dans cette perspective que le programme thérapeutique de M. Cloître se développe.
En regard de la clinique traditionnelle du trauma, la pensée de Viktor Frankl (1905-1997) constitue un précédent remarquable, susceptible d'enrichir considérablement non seulement la compréhension, mais encore le traitement du trauma.
Frankl incarne ce que l'on a appelé ''la troisième école viennoise de psychothérapie'' : après Freud, et Adler auxquels il s'oppose, il affirme que la motivation humaine fondamentale consiste dans la quête de sens. L'affirmation de cette thèse, distingue Frankl à la fois comme un philosophe de l'existence et comme un clinicien novateur. C'est dans l'entre-deux guerres qu'il développé la ''logothérapie'' (thérapie centrée sur le sens). Déporté au moment du nazisme, revenu à Vienne après la libération, il s'est d'abord consacré à appliquer la logothérapie aux rescapés des camps, puis, au fil du temps, a multiplié les interventions de sa clinique à de nombreux cas de trauma (de type 1 et 2).

La clinique de Frankl entretient avec sa conception de l'être humain une relation très étroite. Selon lui, le sujet est une « personne », non réductible à l'ensemble de ses déterminismes (biologiques, psychologiques, sociologiques). Adoptant l'anthropologie de M. Scheler, Frankl considère que l'humanité se distingue par sa dimension spirituelle (ou « noétique »). Le sujet est mu par ce que Frankl nomme une « noodynamique », c'est-à-dire une dynamique spirituelle qui le porte constamment à chercher un sens, sous le rapport d'un sens supérieur à accomplir.
A partir de cette perspective, Frankl postule que la dimension spirituelle définit le mouvement de l'existence humaine, à la fois capable de dépassement et de distanciation. Pour le fondateur de la logothérapie, la dimension noétique n'est pas accessible à la pathologie, elle est le lieu de la liberté de la volonté, de la volonté de sens et de l'affirmation du caractère sensé de la vie.
La dynamique de l'existence est donc inséparable d'une quête du sens indéfinie, en regard de laquelle le sujet est appelé à définir sa propre singularité. Mais qu'est-ce que le sens ?
Pour Frankl, comme pour M. Scheler, la notion, tout comme l'expérience du sens sont indissociables de la notion de « valeurs » : la vie n'est existence qu'à partir du moment où elle est affirmation de valeur.
La souffrance se conçoit d'abord comme « frustration du principe de sens », « vide existentiel », l'une et l'autre menant à la « névrose noogène », c'est-à-dire à la mise en crise du principe de sens.
Dans la mesure où l'épreuve traumatique place le sujet en face du 'réel de la mort', dans une confrontation avec l''absurde', non médiatisée par le fantasme, la perte de sens, aussi soudaine que brutale, qui résulte de l'effraction traumatique (Freud), met en question les raisons d'exister, en s'attaquant au noyau symbolique de l'identité humaine.
Dans cette optique, les conceptions de Frankl sont de nature à enrichir la clinique du trauma d'un apport essentiel.
Le problème de la 'perte du sens', consécutif au trauma, du point de vue expérienciel, relève de ce que Frankl appelle la ''clinique des orientations de sens''. Les orientations de sens correspondent aux différents groupes de valeurs en fonction desquelles le sujet s'affirme comme personne : valeurs d'expérience (eros), valeurs de création (pathos), valeurs d'attitude (ethos) sont les principaux horizons de sens qui fondent le projet humain. Précurseur du « dialogue socratique », en psychothérapie, Frankl considère que la fin du processus thérapeutique tend à faire coïncider l'affirmation de la liberté avec la prise de responsabilité.
Selon Frankl, la thérapie centrée sur le sens constitue une thérapie complémentaire, qu'il convient d'adapter et de combiner, en fonction des cas, avec la palette de la psychotraumatologie contemporaine.
Si les thérapies traditionnelles sont en mesure de favoriser la réhabilitation psychosociale du sujet, la thérapie centrée sur le sens s'adresse à la rédéfinition même du projet existentiel. La logothérapie est une clinique de la résilience.

 

 

 

 

 

 

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Georges Elia SARFATI

 

professeur des universités, psychotraumatologue,

président de l’Association Française d’Analyse Existentielle

et de Logothérapie V. Frankl.