Françoise CHARRASSE

psychothérapeute, chercheur Alice Miller

         
       
               
                   
 

Françoise Charrasse a été professeure d’allemand. Elle a vécu l’une de ses expériences les plus marquantes dans un village réunionnais très défavorisé sur le plan socioculturel. Elle a fait partager à ses élèves sa passion pour le théâtre (formation au Cours Simon et stage de Théâtre de l’Opprimé) en montant avec eux des spectacles à la fois poétiques et réalistes qui mettaient en scène leurs difficultés sociales et psychologiques.

De retour en métropole, elle entreprend des études de psychologie (licence CNED). Elle enseigne au lycée Branly (Dreux) et met en scène une de ses pièces avec une troupe constituée par des élèves de terminales.

Parallèlement, elle expérimente la thérapie « hypnose éricksonienne » la psychanalyse jungienne et découvre l’œuvre d’Alice Miller. Sur les conseils de celle-ci, elle entreprend une « thérapie primaire » (méthode Stettbacher-Miller).

Actuellement, elle est installée à Vernouillet (28) comme psychothérapeute (méthode inspirée par les travaux d’Alice Miller).

Elle fait des recherches sur les conséquences de l’éducation traditionnelle, anime des conférences et donne des cours de psychologie à l’Université du Temps Libre à Dreux.


 




Les effets de la violence éducative

Ce que j’entends par violence éducative : tout abus de pouvoir perpétré par un adulte sur un enfant (violence physique, violence psychologique y compris toute forme de punition) et toute négligence à son encontre : délaissement, refus de consoler, refus de marque d’affection…
Les effets de cette violence, non reconnue comme telle par la plupart des sociétés humaines, sont désastreux.


A. Effets sur la santé physique et psychique des victimes

Un enfant exposé à la violence éducative a peur. Cette peur déclenche dans son cerveau et tout son corps des processus biochimiques. Certains neurotransmetteurs et hormones ont pour effet de nous préparer au combat ou à la fuite rapide dans une situation de danger réel ou potentiel. On constate une accélération du rythme cardiaque, une irrigation plus importante des muscles, des poumons, une vigilance accrue…C’est un plan d’urgence qui est déclenché pour une action rapide et efficace en réponse à un stimulus inquiétant. Ensuite trois possibilités se présentent : soit nous pouvons agir et sauver notre peau, soit nous nous rendons compte que le danger n’était pas réel, dans ces deux cas, notre niveau de stress baisse et la sécrétion des substances chimiques diminuent jusqu’à ce que nous retrouvions l’état paisible d’avant la peur. Dans le troisième cas, celui, par exemple, de l’enfant qui ne peut échapper à l’agression parentale, les hormones continuent d’inonder son corps et son cerveau, ce qui est tout à fait nocif : les muscles sont exagérément tendus, le système cardiovasculaire est perturbé. La circulation sanguine est réduite dans la peau, le foie, les reins, les organes abdominaux. Le cortisol, hormone sécrétée par les glandes surrénales en cas de stress, inhibe la sécrétion d’insuline. Le glucose libéré par le foie n’est pas dégradé, il est consommé par les muscles quand ils doivent effectuer un effort particulier. Si le stress se prolonge, la concentration de cortisol dans le sang reste élevée. Cela affaiblit le système immunitaire et peut provoquer l’apparition du diabète de type 2. Le cortisol perturbe également l’activité de l’hippocampe et de l’amygdale cérébrale et affaiblit la capacité de mémorisation. Autres conséquences du stress sur l’organisme : le blocage de la sécrétion de substances bénéfiques, comme le GABA et les opioïdes. Si un enfant très jeune est soumis à des situations stressantes, le cerveau émotionnel en est marqué sans que cette trace parvienne à la conscience : à la perception de signaux évoquant peu ou prou ces situations vécues précocement, l’amygdale (mature avant l’hippocampe) déclenche des alarmes perturbantes sans rapport avec la réalité présente. Les connexions entre neurones dans le cortex préfrontal ne s’établissent pas correctement chez l’enfant qui souffre et qui n’est pas consolé, il ne peut pas apprendre à gérer ses émotions et plus tard sera submergé par elles. Le corps calleux qui relie les deux hémisphères cérébraux peut être également gravement endommagé.

L’enfant soumis à la violence éducative va devoir étouffer ses émotions, il ne peut ni fuir, ni se battre ni exprimer sa colère, sa peur, son sentiment d’impuissance. Pour lui, ses parents, seuls repères affectifs, avec la fratrie, dans les premières années de la vie, ne peuvent qu’avoir raison. S’ils le traitent mal, c’est qu’il est mauvais. Cette croyance imposée par les adultes lui fait penser qu’il peut améliorer son sort en étant conforme à l’attente des parents. Le moi authentique est nié, l’enfant perd confiance dans ses propres sentiments, il perd l’empathie pour lui-même au profit d’un attachement pathologique et parfois d’une réelle empathie à l’égard d’un parent dépressif qu’il veut absolument tirer d’affaire. Sans résultat bien sûr, ce qui le persuadera encore plus de sa nullité. La répression de ses sentiments profonds, le mépris qu’il a pour lui-même, l’idéalisation des parents qui lui font croire qu’ils agissent « pour son bien » entraîneront un sentiment de culpabilité lourd à porter, une cécité émotionnelle handicapante. Il deviendra incapable d’éprouver de l’empathie. Absent de lui-même, comment pourrait-il être présent aux autres ?

B. Effets sur les relations entre les hommes

Le manque de présence à soi, la cécité émotionnelle, les émotions refoulées, peur, colère, désespoir, sentiments d’impuissance vont évidemment peser lourdement sur nos relations avec les autres et notre conception du monde. Nous avons appris à nous méfier de ceux qui étaient sensés nous protéger, la peur de l’autre va entraver la spontanéité de nos échanges. D’une façon ou d’une autre, nous allons devoir nous libérer au moins momentanément de cette colère qui nous étouffe. Alors, nous allons la décharger de préférence sur les plus faibles en leur faisant croire qu’ils sont la cause de notre emportement. Nous allons abréagir notre rage refoulée par des actes violents acceptés par la société dans la vie privée comme dans la vie professionnelle: l’éducation, les situations de pouvoir, la guerre. Certains soldats racontent (Rwandais : Une saison des machettes de Hatzfeld, Israéliens : film documentaire Z32 de Mograbi) leur état d’euphorie et d’apaisement quand ils pouvaient abréagir leur violence accumulée, grâce à des ordres qui leur étaient donnés et leur ôtaient, croyaient-ils, toute responsabilité.

Alice Miller émet l’hypothèse que toute violence faite à autrui ou à soi-même provient des mauvais traitements subis dans l’enfance. Mais aussi les malaises divers ressentis au cours de la vie : manque de confiance en soi, états dépressifs, difficultés relationnelles ... Ceux qui ont accès à la vérité sur leur enfance et résistent mieux aux difficultés de l’existence, sont soit des enfants qui ont été aimés par des parents bien-portants, soit des personnes qui ont rencontré au moins un témoin lucide et secourable. Celui-ci leur à permis de voir qu’ils n’étaient ni méchants ni détestables, qu’ils étaient dignes de respect et que les adultes qui les traitaient mal avaient tort, qu’ils avaient le droit d’exprimer leur colère contre l’injustice dont ils étaient victimes.

Tout un chacun semble souhaiter la paix dans le monde. Renoncer à la violence éducative pour y parvenir, quel beau projet! Alice Miller nous a fait un cadeau inestimable. Je souhaite comme elle que nous soyons nombreux à le partager.

 

     

haut de page