Jacqueline CORNET

Médecin,

présidente de l’association «Ni claque, ni fessée»

         
       
               
                     
 

- Docteur en Médecine
- Maître ès Sciences humaines
- Carrière de Médecin généraliste
- Membre du Comité scientifique de la Société Française de Médecine Générale avec participation à des travaux de recherche en médecine générale avec l’INSERM.
- Auteur de « Faut-il battre les enfants », article publié dans « la Revue du Praticien » en 1996 à la suite d’une recherche effectuée dans 2 centres hospitalo-universitaires et mettant en évidence les corrélations étroites qui existent entre les punitions corporelles reçues au motif de l’éducation et la multiplication des accidents et des maladies.
Publication chez « Hommes et Perspectives » en 1997 d’un ouvrage développant les conditions et les résultats de cette recherche.
- Présidente fondatrice de l’association « Ni claques ni fessées » depuis 1998.


 

 

 

Quelques points d'histoire sur les punitions corporelles


On est surpris de constater qu’à chaque période historique un certain parallélisme existe entre l'importance des punitions corporelles utilisées dans les familles, et celles employées dans les écoles ou infligées par les tribunaux. Mais on peut globalement affirmer que, peu à peu et bien que de façon irrégulière, on a vu progressivement et très nettement diminuer l'utilisation punitive de la violence physique dans les États, les écoles puis les familles.

Si la Bible faisait état de violences familiales qui allaient, comme nous le savons pour les Romains, jusqu’au droit de mort sur ses propres enfants, on ne retrouve pas cette violence extrême chez les Grecs qui pouvaient toutefois exclure et abandonner l’enfant dont les fautes les importunaient. Le père de famille de ces époques reculées n'apparaît pas comme un éducateur mais comme un être surtout préoccupé de soumettre totalement ses enfants, comme sa femme et ses serviteurs d’ailleurs, à sa volonté.

Au Moyen Age, les mœurs semblent évoluer vers un adoucissement progressif prônant seulement « des corrections pas furieuses mais fréquentes ». Et la fonction paternelle commence à se vouloir pédagogique.

Alors qu’à la Renaissance, parallèlement à l’absolutisme des pouvoirs et au déchaînement punitif des autorités politiques et ecclésiastiques, s'instaure dans les collèges une vie disciplinaire de plus en plus sévère tandis que dans la société, les punitions corporelles vont à nouveau remplacer les amendes. On brûle les « sorcières », on torture allègrement en place de grève jusqu’à la fin du 18è siècle.

Le désir d’humilier et asservir l’enfant ne s’atténuera progressivement qu’au 19è siècle. Le « droit de correction paternel » créé par Napoléon en 1803 viendra alors remplacer l’embastillement qui permettaient auparavant au père de famille de faire emprisonner son enfant sans motif à fournir.

La « maison de correction » remplaçait donc la Bastille…, mais était en fait un nouveau système pénitencier où le père pouvait envoyer son enfant sans avoir à se justifier. Elle ne fut supprimée qu’en 1935.

En 1889, une première loi rend enfin possible la déchéance paternelle en cas de trop mauvais traitements infligés aux enfants et en 1898 on accorde aux juges le droit de confier des enfants à l’Assistance Publique. Lois et associations vont alors se développer pour aider et protéger l’enfant.

Une parenthèse toutefois pendant la guerre 39/45, lorsque le fascisme engendre un retour à des conceptions plus violentes de l’éducation, conceptions que l’on découvre dans les publications de l’époque acharnées à suivre les préceptes du Dr Schreber. Ce médecin orthopédiste allemand a battu très tôt ses fils, s'en vante et écrit des livres pour apprendre à ses concitoyens comment dresser très rapidement les enfants pour qu'on puisse ensuite "les diriger d'un seul regard". Son fils aîné est devenu fou, l'autre s'est suicidé, mais le livre du père a fait grande carrière.

L’après guerre a vu se réinstaller des conceptions éducatives beaucoup moins coercitives et les années 68 ont même été accusées d’avoir introduit un laxisme parental préjudiciable : il est cependant difficile de croire que ce laxisme supprimait les grosses colères parentales et les bonnes fessées qui les accompagnaient !

Et dans les écoles, les punitions corporelles interdites depuis 1887, mais qui étaient restées d’un usage courant, se voient à nouveau fermement interdites en 1991.

Mais c’est surtout depuis une trentaine d’années que les travaux se sont multipliés dans le monde entier pour mettre en évidence la nocivité maintenant reconnue scientifiquement des punitions corporelles. On trouve en effet de corrélations toujours positives entre le fait d’avoir vécu une certain degré de violence éducative (même faible) et le fait de souffrir dans son corps (maladies, accidents), dans son équilibre psychologique (dépression, toxicomanie, alcoolisme, agressivité, délinquance voire homicide) et dans son intelligence (baisse du QI).

Actuellement en France, selon un sondage SOFRES de 1997, seulement 16 % des personnes interrogées ayant des enfants ne leur donnent jamais de coups, alors que 33 % en donnent rarement et que 51 % en donnent plus souvent. Les femmes, qui évidemment passent beaucoup plus de temps avec leurs enfants, disent les battre "plus que rarement" pour 35 % d'entre elles, contre 22 % des hommes. Les plus âgés et les moins diplômés des enquêtés ont été eux-mêmes les plus battus dans leur enfance. Ils utilisent à leur tour plus fréquemment les châtiments physiques que les autres parents : 45 % des sans diplômes fessent leurs enfants "de temps en temps ou souvent", contre 40 % des possesseurs du certificat d'étude, 28 % des CAP, BEP, BEPC, 24 % des BAC et 19 % des diplômés de l'enseignement supérieur. On note donc une double évolution : les parents actuels d'une part et les plus instruits d'autre part utilisent moins les châtiments corporels. Ces remarques sont à rapprocher de celles faites sur la violence à la télévision. En 1994, on y voyait en moyenne 10 crimes par heure, mais les chaînes responsables se situaient dans l'ordre décroissant M6, TF1, FR2, FR3, Arte. La culture, là aussi, semble se faire antidote de la violence.

 

     

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