Une carrière au service du lien parents-enfants
A peine sortie de sa formation de conseillère en économie sociale et familiale, Catherine Dumonteil Kremer travaille en tant que stagiaire au foyer d’enfants Servel à Marseille. Il s’agit d’une petite structure où sont placés 25 enfants de 4 à 17 ans qui ne peuvent être pris en charge par leurs parents pour diverses raisons. Cette première expérience, déjà, la connecte à l’importance fondamentale du lien parents-enfants.
Elle poursuivra ce premier stage à la Mission Jeunes de Marseille (ce sont les premières mesures jeunes) où elle effectue le recrutement et le placement de stagiaires TUC (1982).
L’impulsion : les quartiers Nord de Marseille
Elle a ensuite la chance de pouvoir participer à la création d’un centre social au parc Bellevue, un groupe de logements situé au sein d’une cité très dégradée des quartiers Nord de Marseille. En tant que directrice adjointe, elle est responsable des secteurs jeunes, femmes, familles, petite enfance, elle gère les réunions avec les travailleurs sociaux représentant les institutions présentes sur place, met en route ses projets, recrute le personnel …
Elle travaille également en lien avec la maison d’arrêt des Beaumettes où elle mettra en œuvre, entre autres, un atelier de techniques de recherches d’emploi par le théâtre pour les jeunes issus de la cité. Elle suit également les détenus originaires du parc Bellevue et veille au maintien des liens familiaux.
Grâce à un psychiatre marseillais qui supervise son travail avec les jeunes toxicomanes, elle découvre l’écoute. Elle anime des groupes de parole de femmes et de jeunes et met en place un des premiers accueils parents-enfants. A cette occasion, elle découvre Dolto.
Le contact avec la population de la cité la place devant des situations extrêmement riches et complexes. L’agressivité et la violence (il arrive à la police de s’enfermer dans le commissariat bâti à l’entrée de la cité) côtoient un esprit communautaire et bon enfant.
Très impliquée dans son travail, animée par le désir d’offrir de meilleures conditions de vie aux habitants, elle réalise au fil du temps que les actions politiques à court terme n’ont finalement que peu d’impact. Petit à petit se forge sa conviction que le soutien à la parentalité est indispensable à une évolution de l’accompagnement des enfants et à l’efficacité de l’action sociale.
En janvier 1988, elle devient maman pour la première fois, ce qui fait considérablement évoluer ses priorités. Elle décide aux huit mois de son enfant de devenir enseignante en sciences médico-sociales, et commence à travailler au lycée professionnel La Viste (toujours dans les quartiers nord de Marseille). Là encore elle se trouve aux prises avec des jeunes cumulant un grand nombre de difficultés. Au Lycée Camille Jullian elle élabore avec ses élèves des projets tournant autour de la mer : nettoyage du port du Frioul en plongée, découverte de la faune et de la flore sous marine, suivi du périple de jean Louis Etienne en Arctique (avec les moyens audiovisuels mis en place à cette époque).
Ces idées ne sont que des passerelles vers un lien de qualité avec les jeunes qui composent ses classes.
Le soutien à la parentalité
En 1992, enceinte de son deuxième enfant, elle prend un congé parental et quitte Marseille pour l’Ardèche. Cette période de sa vie, qui durera environ six ans, sera également très riche et foisonnante en termes de projets et d’apprentissages. Elle se forme notamment à la psychophonie (chant prénatal et familial), et suit une formation à la pédagogie Montessori d’une durée de trois ans.
Devenue animatrice de La Leche League, elle s’investit beaucoup dans l’association : elle gère le bulletin interne de l’association, forme des animatrices, devient instructrice en enrichissement des relations humaines, etc. C’est ainsi qu’elle se rend compte qu’au-delà de l’allaitement, c’est la relation et la communication qui l’intéressent.
Elle se désengage de LLL afin de pouvoir créer La Maison de L’Enfant (1998). Cette association a pour objectif le soutien des parents qui souhaitent remettre en question l’éducation qu’ils ont reçue et saisir l’opportunité qui leur est offerte de grandir avec leurs enfants.
Ayant elle-même un troisième enfant depuis 1994, et quatre beaux-enfants depuis 1989, elle est confrontée à ce que signifie le fait d’être parent, d’accompagner des enfants, de devenir polyvalent, de vivre au quotidien, de jour comme de nuit, un dépassement constant, tout en n’étant nullement reconnu par la société dans cette tâche.
Sensible à la difficulté d’être parent, elle travaille à la conception d’une formation destinée aux familles et aux professionnels de l’enfance.
Elle anime des groupes de parents régionaux (à la demande de l’association ALPAJE), met en place sa formation et commence à la proposer sur Internet. Elle forme des directrices de crèches de sa région, des professionnels de santé qui souhaitent améliorer leurs entretiens, des membres d’associations qui veulent se lancer dans la relation d’aide… Elle conduit cela en parallèle avec son travail d’enseignante qu’elle a repris en1997.
Internet, un formidable outil
En 1995, Internet se développe lentement en France. Usagère d’AOL, premier provider américain à ce moment-là, Catherine propose à ce fournisseur d’accès d’animer contre rémunération des groupes de parents en ligne. Le projet est accepté avec enthousiasme. Chaque semaine, elle écrit un texte sur le thème qu’elle a choisi de traiter. Il est mis en ligne sur la page d’accueil et chaque mardi soir elle anime un groupe de soutien de deux heures, sur des thèmes aussi divers que l’allaitement, la discipline, les émotions, l’école, etc. La formule a tellement de succès qu’AOL lui demande des chats sur le couple. L’aventure durera trois années.
Cette expérience lui donne l’idée de créer une liste de discussion. Ce sera la première liste destinée au soutien des parents qui veulent accompagner leurs enfants dans la non-violence. Ouverte en 1999, elle existera d’abord sous le nom de Korzack (en hommage à ce précurseur de la défense de la dignité des enfants), puis sous celui de « Parents conscients » dès 2000.
Elle crée le site de la maison de l’enfant. Il s’agit d’un soutien concret assortie de partages d’expériences, d’astuces, de lectures, d’informations diverses. Le site de La Maison de l’Enfant est une coopérative où les parents mutualisent leur expérience, c’est une sorte de centre de recherche sur le thème de la pose de limites non violente, de nombreux témoignages y sont répertoriés.
Des livres et des formations
Elle porte en elle depuis un certain temps plusieurs projets de livres. Elle aimerait publier un ouvrage regroupant toutes ces choses qu’elle a découvertes au fil du temps avec ses enfants, qui l’ont immensément aidée et qu’elle aurait aimé trouver à la naissance de sa fille aînée, une sorte de livre de ressources alternatif. Elle a en tête une autre projet, un petit ouvrage pratique sur le thème de la pose de limites sans violence, qui serait une sorte de petit catalogue regroupant les astuces existant dans ce domaine.
En 2000, elle démissionne de l’Education Nationale pour se consacrer à ce projet. Elever son enfant autrement voit le jour aux Editions La Plage en 2003. Qualifié de « bible » par de nombreux auteurs et journalistes, ce livre est un grand succès, réédité en 2009. Poser des limites à son enfant et le respecter sort en 2004 chez Jouvence, et sera traduit en quinze langues. Un ouvrage sur les frères et sœurs, Relations frères sœurs, du conflit à la rencontre lui fait suite en 2006 et est également traduit en plusieurs langues.
Désormais, elle peut se consacrer à son domaine d’élection, le soutien à la parentalité, étant de plus en plus convaincue que c’est un moyen radical de faire évoluer la société.
Depuis la sortie de son premier livre elle donne un peu partout des conférences, des formations. Ces dernières sont organisées par des institutions et des associations familiales (UDAF, CAF, REAAP, etc.), elle a travaillé avec des parents rencontrant des situations des diverses : parents homosexuels (APGL), adoptants, sourds (Signe avec moi), des parents en situation sociale difficile (par le biais des centres sociaux de certains quartiers), etc.
Depuis juin 1998 et jusqu’en 2008 elle animera un groupe d’écoute des émotions destiné aux adultes. Elle expérimente largement l’écoute des émotions des enfants et a l’idée d’écrire un ouvrage sur le thème du jeu et du rire pour relâcher les tensions et resserrer les liens familiaux. Jouons ensemble autrement voit le jour en 2007 aux éditions La Plage, un livre sans équivalent que de nombreux parents considèrent comme une ressource précieuse.
En fin d’année 2004 elle a l’idée de relayer le « No Spank Day » né aux Etats-Unis. A peine a-t-elle proposé l’idée sur la liste Parents Conscients que les parents s’en emparent, rapidement suivis par les associations. C’est d’abord la « Journée contre la fessée », qui deviendra par la suite la « Journée de la non-violence éducative ». Elle coordonne cet évènement chaque année depuis sept ans avec l’aide de parents chevronnés de la liste Parents Conscients, et rédige les documents associés, notamment le fascicule « Sans fessées comment faire ? », que l’on peut télécharger gratuitement depuis plusieurs sites (comme celui de la Maison de l’Enfant, son site personnel ou d’autres blogs et sites d’association).
Elle devient membre fondateur de l’observatoire de la violence éducative ordinaire en 2006. Cette idée proposée par Olivier Maurel, auteur de « La fessée » sur la liste Parents Conscients verra le jour grâce aux membres actifs de la Maison de l’Enfant.
En 2006, elle décide de créer un trimestriel de 32 pages destinés aux parents. Bulletin de la maison de l’enfant, cette publication durera deux ans. Elle intègre également l’équipe d’un nouveau magazine mensuel, Grandir Autrement, pour lequel elle rédige une chronique régulière et de nombreux articles sur le thème de l’éducation.
En 2007 elle organise pour les actifs de La Maison de L’Enfant une formation de Doulas donnée par Michel Odent, à laquelle elle participera activement.
Elle participe à de nombreuses émissions de télé et de radio. On peut ainsi la voir sur TF1, France 2, France 3, dans l’émission de M6 E=M6, sur Direct Huit … Elle est également régulièrement invitée aux Maternelles et une sélection de ses interventions sera éditée sur un DVD, « Crises et caprices » chez MK2 (2007).
En 2009, Isabelle Filliozat, psychologue clinicienne et psychothérapeute, la sollicite et l’invite à intégrer son équipe de formateur à l’EIREM (Ecole des Intelligences Relationnelles et Emotionnelles qui forme de futurs psychothérapeutes).
Elle a conçu et lancé une formation d’animateur de groupes de soutien à la parentalité depuis 2009. « Accompagner les parents vers une éducation positive respectant les liens d’attachement ». La deuxième promotion s’apprête à démarrer.
Ses enfants ayant grandi, elle vient de sortir en avril 2010 le livre « L’Adolescence Autrement, faire confiance aux ados, faire confiance à la vie », et de créer une liste de discussion internet spécifique, destinée aux parents d’adolescents.
Alternatives à la violence éducative
Je me suis confrontée au problème de la recherche d’alternatives à la violence éducative, en premier lieu pour ma propre famille… J’étais déjà prévenue professionnellement contre la fessée lorsque mon premier enfant est né. Et je me suis rendue compte, que la punition, la sanction, la culpabilisation etc. n’étaient pas nécessaire.
Je me suis heurtée à moi même, à ma propre histoire d’enfant, c’était ce qui était le plus difficile. Je vivais parfois dans une tourmente d’émotions complexes, et j’ai du me rendre à l’évidence : il me fallait travailler sur moi.
Cette difficulté m’a amené à considérer avec beaucoup d’attention le travail des parents. C’est ainsi que j’ai commencé à animer des groupes de soutien sur ce thème, à rechercher de façon systématique des alternatives à la violence éducative.
Parents Conscients est né. Le fort de développement de cette liste de discussion, l’intérêt qu’elle a suscité, m’ont montré très clairement la volonté qu’ont les parents de donner un accompagnement différent de celui qu’ils ont reçu.
Il y avait là de multiples tâches à effectuer. Trouver des pistes pour poser les limites autrement, transmettre cela aux parents, être à l’écoute de leurs idées originales de leur bon sens, répertorier ces idées et faire circuler l’information.
Quelques pistes
Ce thème est un puit sans fond, il a de nombreuses ramifications vers d’autres sujets, mais voici en quelques phrases des pistes que certains parents non violents utilisent chaque jour dans leurs familles.
Une question de besoin
Ce sujet est intimement lié à celui des besoins (besoins des enfants, besoins des adultes). L’image du réservoir affectif peut aider à comprendre cette idée :
Nous pourrions imaginer que chacun d’entre nous a en lui un réservoir affectif. Lorsque ce dernier est plein, notre fonctionnement est optimal. Nous débordons d’enthousiasme, notre seuil de tolérance avec nos enfants est au plus haut. Malheureusement les divers problèmes auxquels nous faisons face (deuil, maladie, chômage, séparation, absence de sécurité financière etc.) vident notre réservoir. C’est alors que nous devenons irascibles, agressifs, le moindre bruit peut nous mettre hors de nous, notre seuil de tolérance s’est considérablement amoindri, la fatigue aidant nous ressemblons à une bombe à retardement, prête à exploser sous l’effet d’une goutte d’eau.
Nos enfants ont-ils un réservoir affectif ?
Cela peut nous surprendre mais nos enfants fonctionnent sur les mêmes bases que nous ; eux aussi ont un réservoir affectif. Un petit réservoir qui peut se remplir et se vider très vite.
Nous sommes parfois surpris de les voir traverser d’immenses colères, d’intenses chagrins : Une mauvaise journée à la crêche, la perte d’un ami, des disputes dans la famille, une séparation, un déménagement, les petits réservoirs affectifs ne manquent pas de raisons de se vider. Par période nos petits nous semblent insatisfaits en permanence, nous pensons qu’ils nous poussent à bout. Dans ces moments-là le sujet de la pose de limites nous taraude… Que faire ? la perspective de vivre avec un enfant « mal élevé » nous angoisse, sommes-nous de bons parents ?
Un autre regard
Deux questions vont probablement nous orienter vers une solution possible : qu’est-ce qui a pu vider son réservoir affectif ? Et comment le remplir ?
C’est une partie de la solution…
Le deuxième point que je trouve essentiel, c’est l’information sur les émotions des enfants. De plus en plus nous savons que l’émotion est un moyen physiologique de guérir ou au moins d’atténuer la souffrance.
Les émotions
Nos enfants pleurent (en particulier à l’âge où leur cerveau ne leur permet pas de différer la décharge émotionnelle), vivent des crises de rage dévastatrices, lorsqu’ils sont frustrés par exemple. Les parents peuvent alors apprendre l’écoute de ces émotions, afin de laisser leur enfant exprimer pleinement sa déception. Ce n’est pas le fait de dire non qui est dommageable c’est plutôt de ne pas écouter l’émotion qui découle du non.
Parmi les décharges émotionnelles, il y en a une qui peut aider à relâcher les tensions engrangées dans la journée c’est le rire.
Donc, finalement, jouer peut s’avérer être une piste intéressante, et faire rire l’enfant, pas en le chatouillant bien sûr, mais en chahutant par exemple, ou en utilisant des jeux relationnels qui tournent au cocasse (cache-cache par exemple).
Une fois les tensions relâchées l’ambiance est bien meilleure et les occasions de se confronter s’évanouissent. Chez nous le jeu de « Karaté Chaussettes » a été fréquemment l’occasion de ressourcement familial. En deux mots, il s’agit de se mettre tous ensemble sur un grand lit, des chaussettes au pied, et chacun essaie d’enlever les chaussettes de l’autre, tout en gardant les siennes.
Voilà un jeu exceptionnel qui modifie la couleur de l’humeur des membres de la famille qui se reconnectent ensemble au plaisir de vivre.
Les techniques de communication interpersonnelles
Apprendre des techniques de communication interpersonnelles aidera également les parents à gérer les relations dans la famille. L’écoute, l’affirmation de soi, sont des outils qui nous aident tout au long de notre vie, et pas seulement avec nos enfants.
On apprend avec le temps à penser « relation » plutôt que seulement « limites » , et cela nous est très utile lorsque l’adolescence arrive et que les systèmes répressifs sont de plus en plus en échec.
Dans le fond ce que nous voulons c’est que notre enfant comprenne le monde et son fonctionnement ce qui est un sujet bien plus vaste et passionnant que les limites.
Catherine Dumonteil Kremer
Auteur, conférencière, formatrice
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