Fabienne CAZALIS

neuroscientifique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

             

 

 

 

Science de l'attachement

À sa naissance, l'humain, comme la plupart des vertébrés, n'est pas assez mature pour survivre sans les soins des adultes. L'attachement qui s'établit entre le nouveau-né et l'adulte de référence (généralement sa mère) est un facteur essentiel de survie pour l'individu autant que pour l'espèce. Il existe une grande diversité d'organisations familiales parmi les animaux, mais on retrouve toujours chez le nouveau-né des compétences permettant de favoriser cet attachement. Chez les primates, et tout particulièrement chez l'Homme, le besoin d'attachement est si profondément ancré qu'il est devenu indispensable en soi, ainsi que l'ont démontré les études sur l'hospitalisme des les années 30 et 40 et les travaux de Harry Harlow chez le singe dans les années 60 et 70.

La maladie, et parfois le décès, du nouveau-né en l'absence d'attachement s'expliquent par le fait que le stress augmente la production de cortisol, une hormone qui a un effet sur le fonctionnement du cerveau et le métabolisme corporel. Une sécrétion temporaire de cortisol en situation de danger est utile, puisqu'elle induit chez le bébé des comportements de détresse (vocalisations, agitation) propres à alerter les adultes environnants, qui ont le pouvoir de le protéger. Cependant, lorsque la situation de détresse est trop longue ou trop fréquente et qu'une production soutenue de cortisol s'installe, les effets à long terme se révèlent catastrophiques pour la santé du nouveau-né qui, s’il survit, sera fortement à risque de développer des pathologies de l'humeur et du comportement.

En effet, la recherche scientifique sur les mécanismes des troubles anxieux et dépressifs montre que lorsque le nouveau-né est exposé à un stress élevé et soutenu, son corps s'adapte à cette situation en modifiant de façon durable, souvent permanente, non seulement la sécrétion des hormones du stress mais également les récepteurs hormonaux et neuronaux associés. Chez les adultes, cela se traduit par une hypersensibilité physiologique au stress, même léger. Des recherches récentes ont pu identifier le mécanisme épigénétique responsable de cette maladaptation1 : sous l'effet d'un stress précoce et soutenu, des gènes normalement silencieux sont exprimés et amplifient la réponse physiologique à la perception du danger. Les effets de cette hyperactivité maladaptative se traduisent également par une altération durable du système immunitaire, qui passe en quelque sorte en état d'inflammation permanente, et par une atrophie de l'hippocampe, une zone du cerveau dédiée à la création de nouveaux neurones et à l'encodage des souvenirs (l'hippocampe est le premier organe détruit par la maladie d'Alzheimer). On peut comparer ce phénomène à un cercle vicieux, ou le corps soumis à un stress intense développe une hypersensibilité à ce signal, ce qui le rend d'autant plus vulnérable, un mécanisme décrit par le terme “syndrome métabolique”. Dépression et troubles anxieux sont l'expression d'un système en déraillement. On pourrait faire l'analogie avec un autre syndrome métabolique, le diabète de type II, où la surexposition au sucre participe à une perturbation durable du circuit de l'insuline.

Ce qui est particulièrement intéressant dans le contexte de ce colloque, c'est d'observer la façon dont les scientifiques étudient ce phénomène. Pour évaluer les conséquences à long terme d'une cortisolémie excessive, ils doivent donc exercer sur des animaux nouveau-né un niveau de stress suffisant pour obtenir un dérèglement pathologique. Comment procèdent-ils ? Les ratons et souriceaux sont-ils soumis à des tortures sophistiquées ? Non, bien plus simplement, le paradigme le plus classique est que les chercheurs se contentent de séparer la portée et la mère quelques heures par jour. Par exemple, dans l'article cité ci-dessus (Nature, 2009), les souriceaux étaient éloignés de leur mère 3 heures par jour pendant les 10 premiers jours de leur vie. Cela était suffisant pour mettre en évidence des altérations permanentes de leur système neuro-hormonal. Il est difficile de ne pas s'interroger sur nos habitudes culturelles de séparation mère-bébé quand on voit l'effet que cela peut avoir sur des souris !

Dans un autre protocole2, des chercheurs ont évalué les effets du stress sur des rattes ayant mis bas. Les mères étaient stressées au moyen d'impulsions électriques et manifestaient des comportements inhabituels : sautillements, très peu de temps avec leur ratons, réduction importante de l'allaitement. Les ratons de ces mères stressées bénéficiaient donc de moins de temps avec leur mère et présentaient eux-mêmes des taux d'hormones du stress significativement élevés, ainsi que toutes les manifestations de ce stress. Ainsi, le stress infligé à la mère s'est traduit par une réduction des comportements maternels adéquats et a induit un stress chez les ratons.

Quand bien même évite prudemment l'écueil de l'anthropomorphisme, il serait tout aussi erroné de ne pas tenir compte du fait que l'humain est, lui aussi, un mammifère. Ces protocoles expérimentaux nous poussent à réfléchir aux contraintes sociales et psychologiques qui induisent un éloignement mère-bébé, mais également au stress que de telles contraintes peuvent générer tant chez la mère que chez le nouveau-né. Il est urgent, en termes de santé publique, de mesurer l'impact à court et à long-terme de nos pratiques culturelles de séparation précoce du nouveau-né de sa mère.

 

 

 

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