Olivier MAUREL

fondateur de l’« Observatoire de la Violence Educative Ordinaire »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

             

Père de cinq enfants et huit fois grand-père.

Professeur agrégé de lettres, retraité.

Se consacre actuellement à un travail de recherche sur la violence éducative ordinaire.

Président-fondateur de l'Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO)

Président-fondateur, avec son épouse, de l'association La Parent'Aise qui organise des cafés-parents dans la commune varoise du Pradet.

 

Ouvrages publiés :

- Les Trafics d'armes de la France (Maspéro, 1973, réédition 1977)
- Armée ou défense civile non-violente (avec Lanza del Vasto et le général de Bollardière) (Editions La Gueule ouverte, 1975)
- Un confesseur de sorcières parle, Friedrich von Spee (L'Harmattan, 2000).
- La Fessée, Questions sur la violence éducative, La Plage, 2001
- La Non-violence active, La Plage, 2001
- Essais sur le mimétisme, L'Harmattan, 2002
- Oedipe et Laïos, Dialogue sur l'origine de la violence, avec le psychanalyste Michel Pouquet, L'Harmattan, 2003
- Oui, la nature humaine est bonne, Comment la violence éducative la pervertit depuis des millénaires, Robert Laffont, 2009.
- Un trou noir dans les sciences humaines : la violence éducative. (A paraître).

 

 

 

Un jour de 2006, un chercheur de l’Institut Max Planck d’anthropologie de Leipzig, Félix Warneken, a eu l’idée de laisser tomber une pince à linge devant un bébé de dix-huit mois. Il l’a laissé tomber comme par mégarde, mais en fait intentionnellement, et il a feint de ne pas arriver à la ramasser. Le bébé a regardé la pince à linge, a regardé le chercheur et s’est traîné sur les fesses vers la pince à linge pour la pousser vers l’adulte maladroit. Warneken a répété son expérience successivement devant vingt-quatre bébés. Ils ont tous eu le même comportement d’assistance spontanée et désintéressée. Le chercheur, en effet, n’avait demandé aucune aide et les bébés n’attendaient aucune récompense. Et inutile de dire qu’à cet âge, ils n’avaient reçu aucune leçon de morale sur l’entraide.

Warneken a fait la même expérience avec des chimpanzés. Les chimpanzés, encore moins suspects que les enfants d’avoir reçu des cours de morale, se sont empressés de ramasser l’objet que le chercheur essayait en vain de saisir et le lui ont tendu.

Ces deux expériences, ainsi que bien d’autres antérieures avec d’autres animaux, montrent qu’il existe dans notre nature animale des tendances innées spontanément altruistes.

Les enfants ne naissent pas égoïstes et sauvages, ils naissent sociaux, comme l’avait déjà compris Aristote. Nous avons besoin de ce qu’un sociologue a appelé « l’étreinte sociale ». Maria Montessori, elle aussi, a parlé du « dynamisme social » des enfants. Ce que nous avons d’animal en nous est fondamentalement social.

Ce sont souvent au contraire nos idéaux, nos « valeurs », nos croyances, nos opinions, nos traditions, nos cultures, nos idéologies, qui nous portent à l’égoïsme, au mépris, à la haine, à la violence et à la guerre *. Surtout quand ils nous ont été inculqués de façon autoritaire et violente.

Toutes les conceptions éducatives qui consistent à vouloir redresser, corriger la nature supposée sauvage des enfants sont donc inadaptées à leur vraie nature et ne peuvent avoir qu’un effet destructeur sur leurs prédispositions naturelles, non seulement parce qu’elles les altèrent, mais parce qu’elles donnent aux enfants l’exemple de comportements en opposition totale avec leurs tendances les plus profondes.

Or, malheureusement, les hommes ont adopté depuis des millénaires, et universellement, l’idée - et le comportement qui en découle - que l’enfant doit être « corrigé », « redressé » comme s’il était tordu de nature. Le philosophe Emmanuel Kant a bien exprimé cette croyance : « L’homme a été taillé dans un bois si tordu qu’il est douteux qu’on puisse jamais en tirer quelque chose de tout à fait droit. » Toute notre culture nous a inculqué cette idée, cette conviction autodévalorisante. Pensons aux notions de péché originel, de bestialité féroce, de pulsion de mort développées par des théologies, des philosophies ou des théories du psychisme comme celle de Freud. Mais pensons aussi aux lieux communs sur la supposée « violence innée » de la nature humaine qui surgissent spontanément dans les conversations sur les faits divers violents.

Et cette conviction s’applique bien évidemment aux enfants jusque dans le vocabulaire presque toujours péjoratif qui les désigne. Vocabulaire animal dépréciatif : marmot, mouflet, moutard, lardon, morpion…Ou vocabulaire qui les caractérise par leurs sécrétions et leurs excréments : morveux, chiard, merdeux, pisseuse...

Or, ce vocabulaire est loin d’être innocent. Les mots qu’on a appris sont comme des verres de couleur qui teignent la réalité aux couleurs de la culture dans laquelle nous vivons. Difficile ensuite, quand on a ces mots en tête, de ne pas adopter à l’égard des enfants et de l’enfant qu’on a été le regard de dérision et de mépris qu’ils véhiculent.

Les termes que le titre de notre colloque confronte : attachement et empathie d’un côté, et violence éducative de l’autre, traduisent un conflit fondamental entre ce que notre nature et la nature des enfants ont de meilleur, et la désolante méthode que les hommes, parce qu’ils l’ont tous subie, ont cru bon et continuent de croire bon d’appliquer aux enfants.

L’attachement et l’empathie sont de formidables bases innées de l’éthique. Si nous les saccageons par des comportements violents inadaptés, ou même si nous répondons par la froideur aux élans des enfants, nous risquons d’éteindre ces élans. Et toutes les leçons de morale que nous pourrons essayer d’inculquer aux enfants ne seront jamais ensuite, comme l’a dit Alice Miller, que des prothèses sur des fonctions atrophiées par notre propre système d’éducation.

Cela ne signifie pas du tout que, lorsque c’est nécessaire, il ne faille pas dire « stop » aux enfants quand ils risquent de se mettre en danger ou de mettre en danger d’autres enfants. Les mots, le dialogue sont indispensables pour permettre aux enfants de discerner, dans la complexité de la vie quotidienne, ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Mais les enfants ont besoin que ces refus, même fermes, soient exprimés dans une attitude claire de confiance dans leurs capacités altruistes innées.

 

 

* On sait que dès que l’on énonce ces idées, le mot rousseauisme vient à tous les esprits. La place manque ici pour répondre à cette objection, mais il faut lire le remarquable article d’Alexandra Barral sur le site de l’OVEO. (www.oveo.org) Vous y verrez qu’on peut partager le point de vue de Jean-Jacques Rousseau sur la bonté de la nature sans être en rien naïf.

 

 

 

 

 

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